Au bout du fil, Jean-Michel Pigeon, le jeune leader de la formation Monogrenade, trace les grandes lignes de la mise en orbite progressive de son véhicule créatif. Ses premières ébauches auront lieu dans le camion de tournée de son premier groupe, Winter Gloves, pour lequel il sera surtout un guitariste exécutant les ordres. Après trois tournées canadiennes et une américaine, Jean-Michel effectue en 2008 les premiers tests de mise à feu de Monogrenade en enregistrant, dans un chalet, entouré d’amis, huit chansons qui se retrouveront sur un premier EP intitulé La saveur des fruits. Les bases d’un son pop imaginatif et avec un goût certain pour l’apesanteur étaient jetées.

Après un passage remarqué à l’édition 2010 du concours Les Francouvertes, où Monogrenade atteint la finale et se sauve entre autres avec Le Prix chapeau aux compositeurs, remis par la SODRAC pour la chanson « M’en aller », la formation intègre l’écurie Bonsound et lance son premier album Tantale un an plus tard. Un disque qui lui permettra d’être propulsé sur le devant de la scène indie pop en ébullition et de traverser les frontières du Québec, à la fois dans le reste du Canada, mais également en France, où Tantale est encensé par l’influent magazine Les Inrockuptibles.

« Je n’ai pas souvent envie de parler de moi, de me dévoiler dans mes chansons. » – Jean-Michel Pigeon de Monogrenade

Ce qui nous amène à Composite, deuxième album dont l’élaboration méticuleuse en studio (en compagnie de ses camarades François Lessard, Marianne Houle, Mathieu Collette, Ingrid Wissink et Julie Boivin), s’est étalée sur presque un an, et marque la mise en orbite définitive de Monogrenade. Ce rythme de travail plus étendu dans le temps s’accordait parfaitement avec la personnalité de Jean-Michel Pigeon : « C’est vrai que c’est vraiment le fun d’avoir le temps de pousser les choses à fond, mais en même temps, il peut arriver que l’essence de base des chansons se perde en cours de route. Mais ça reste une façon plus saine de travailler en ce qui me concerne, car j’aime bien élaborer mes compositions en couches superposées. Ç’a été un travail de longue haleine, mais j’aime composer de façon naturelle, sans rien précipiter. »

La principale conséquence de ce rythme d’enregistrement plus « naturel » est certainement une cohésion d’ensemble plus grande et un concept général (rétrofuturiste cinématographique) plus achevé sur Composite que sur Tantale, qui étendait ses tentacules dans plusieurs directions.

Étrangement, même si les textes de l’album explorent la diversité et la complexité des relations humaines, ne comptez pas sur Jean-Michel Pigeon pour se livrer intimement à travers ses chansons. Question de pudeur ? « C’est peut-être un peu par pudeur, effectivement. J’avoue que je n’ai pas souvent envie de parler de moi, de me dévoiler dans mes chansons, explique le discret Jean-Michel. Je préfère inventer des histoires, imaginer que je suis quelqu’un d’autre… On n’est pas tous des compositeurs ayant des vies trépidantes à raconter. Ce que j’aime dans le fait d’être plus abstrait sur le plan de l’écriture, c’est que ça peut être interprété de toutes sortes de manières par les gens qui écoutent. La musique peut toucher même si on ne parle pas de soi de manière personnelle… »

« Ce qu’on fait, c’est un peu de l’impressionnisme, je trouve, » continue celui qui cite le film Metropolis de Fritz Lang comme influence de l’esthétisme de Composite. « C’est souvent la musique qui génère des images et qui initie les sujets abordés dans les textes. Le thème des relations humaines a certainement découlé des deux années précédentes où on était très proches les uns des autres dans le groupe, souvent en tournée, toujours ensemble, l’intimité forcée, les relations de passage parfois brèves, mais intenses… C’est une vie un peu spéciale d’être musicien en tournée. Surtout que je suis quelqu’un de très solitaire, plutôt nocturne dans mes périodes de composition. »

On le devine, la proposition musicale riche et sophistiquée de Monogrenade a dû subir tout un travail d’adaptation afin de se transposer sur scène de manière satisfaisante pour le groupe. Et si Jean-Michel se considère davantage comme une bête de studio qu’un performeur né, il dit compenser en mettant l’emphase sur l’œuvre plutôt que sur la personnalité collective de Monogrenade : « Je suis effectivement ambivalent dans mon rapport à la scène. C’est une belle récompense d’aller jouer en temps réel devant des gens qui aiment ta musique, mais ce n’est pas ma passion première. Il y en a qui sont des magiciens de la scène. Tu leur donnes une guitare et un micro, et la communication avec le public est instantanément incroyable. Alors qu’avec Monogrenade, c’est davantage le défi de reproduire collectivement notre proposition musicale sur scène. Moi, c’est de la musique que je fais, pas du show-business. »

Jean-Michel Pigeon situe tout de même le son de Monogrenade sous le vocable de la pop. Pourtant, à part sur les radios communautaires et universitaires, on n’entend jamais Monogrenade sur les ondes commerciales. Sur ce terrain, le leader de Monogrenade dit devoir mesurer ses propos, car il avoue avoir tendance à s’emporter sur ce sujet : « On nous dit qu’on n’avait pas le bon format, que la voix n’est pas assez en avant… Pourtant, je pense qu’on gagnerait à élargir nos horizons radiophoniques au Québec. J’ai l’impression que c’est toujours les mêmes artistes et le même genre de chansons qu’on entend à la radio. Pourtant, dans les cinq dernières années, il y a eu tellement de la bonne pop québécoise qui s’est faite! Marie-Pierre Arthur, Peter Peter, Jimmy Hunt… Je ne comprends pas pourquoi les gens n’embarquent pas plus dans cette nouvelle vague. »