La communication financière doit-elle se mettre au diapason de Twitter ?

On savait les marchés boursiers sensibles aux humeurs. On a petit à petit découvert qu’ils étaient également à la merci de certains tweets. Ces dernières semaines, le réseau social Snapchat en a encore fait l’amère expérience avec deux tweets consécutifs d’une starlette people Kylie Jenner et de la chanteuse Rihanna. Résultat : une réputation éborgnée auprès des fans mais aussi des investisseurs financiers puisque la valorisation boursière a plongé par deux fois. Twitter doit-il être un thermomètre réputationnel des communicants financiers ?

Qui aurait pu croire un jour que quelques tweets pourraient suffire à faire plonger ou propulser les cours de bourse d’une entreprise ? Pourtant, le scénario est devenu réalité à mesure que Twitter s’est imposé comme le réseau social où le message d’une figure influente et/ou très connue peut faire bouger les lignes en quelques minutes. Est-ce à dire que la communication financière doit pleinement intégrer l’oiseau bleu dans ses stratégies ? Tour d’horizon de quelques exemples et initiatives qui semblent apporter la réponse.

Le twittos de Wall Street

Il s’appelle James Alain Craig et il est le premier dans son genre. En 2015, ce trader écossais s’est en effet retrouvé inculpé de fraude et de manipulation de cours boursiers par le département de la Justice américaine. Son tort ? Avoir tweeté deux ans plus tôt de fausses informations au sujet d’Audience (une société technologique de semi-conducteurs) et de Sarepta Therapeutics (une société de R&D en biopharmacie). Les messages alléguaient que ces deux entreprises cotées faisaient face à de graves investigations fédérales. Conséquence : la valeur des actions a respectivement reculé de 28% et de 16% (1). Soit une perte estimée à 1,6 millions de dollars par le gendarme boursier américain, la SEC (Stock & Exchange Security). L’homme s’est fait alors pincer alors qu’il tentait de racheter à bas prix les actions dévalorisées via le compte de courtage de sa petite amie ! Ainsi donc, le monde financier venait de connaître sa première tentative d’arnaque boursière en détournant l’usage de Twitter.

Pourtant, Twitter avait déjà été indirectement la cause en avril 2013 d’un emballement spéculatif du S&P 500 (indice boursier basé sur 500 grandes sociétés cotées sur les places financières américaines) entraînant une dévalorisation momentanée de l’ordre de 130 milliards de dollars ! La cause était un tweet envoyé depuis un compte Twitter piraté de l’agence Associated Press et annonçant que plusieurs explosions avaient retenti dans la Maison Blanche et que le président Obama était blessé. Le plus étonnant dans ces deux anecdotes est qu’elles ne soient pas survenues plus tôt. En effet, Twitter a très tôt et très vite passionné certains férus de finance et de spéculation. A tel point que StockTwits, une plateforme de partage d’idées entre investisseurs, traders et entrepreneurs créée en 2008, a eu l’idée de lancer ce qu’elle a baptisé un « cashtag » et matérialisé avec le symbole $. Objectif : accoler ce dernier au nom d’une entreprise lorsque les utilisateurs du service en discutent. En 2012, Twitter reprendra à son compte le concept à son compte ouvrant sans trop le savoir une sacrée boîte de Pandore.

Twitter bavard = marché chagrin ?

Actuellement PDG de Wiztopic, une plateforme française de distribution sécurisée de contenus corporate et financiers, Raphaël Labbé a justement cofondé sa start-up (avec Jérôme Lacombe) sur ce postulat en 2014 : proposer un espace de publication contrôlé aux entreprises du secteur de la finance et aux sociétés cotées. Le dynamique dirigeant explique (2) : « Les marchés s’organisent en réseau et ne pas faire partie de la conversation revient à laisser les autres, ses concurrents ou des usurpateurs d’identité, le faire à sa place. C’est d’autant plus essentiel que le manque d’émetteurs référents est critique, puisque tout un chacun, en premier lieu les plus incompétents ou volontairement néfastes diffuseurs de fake news, s’en donnent à cœur joie. Il n’existe pas d’assurance absolue contre la malveillance, mais on constate avec Wiztopic qu’on peut limiter significativement les risques ». Or chacun sait que les cours boursiers ont toujours été quelque peu poreux et versatiles lorsque des rumeurs autour d’une entreprise commençaient à enfler.

Compte-tenu des enjeux monétaires énormes qu’elle recèle potentiellement, l’information financière est guettée comme le lait sur le feu. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que des figures du secteur comme Paul Krugman, Prix Nobel d’économie ou Christine Lagarde, patronne du Fonds monétaire international (FMI) enregistrent 4,3 millions d’abonnés et 462 000 followers sur leurs comptes Twitter respectifs. Comme Twitter s’est imposé de surcroît comme un véritable fil informationnel (même si le meilleur et le vrai peut côtoyer le pire et le faux), il est assez logique que celui-ci devienne un carrefour conversationnel pivot en matière de communication financière. C’est d’ailleurs cette opportunité qui a conduit par exemple à la création de l’application LikeFolio en mars 2017. Connectée sur les flux Twitter, la promesse de cet outil consiste à prédire les mouvements boursiers sur la base des conversations et avant les notices officielles de Wall Street ! Les utilisateurs reçoivent alors des notifications en fonction des profils d’entreprises et de personnes suivies.

La réputation a un coût

Il est vrai que les acteurs de la finance et de l’économie ont multiplié les exemples où un tweet suffit à affoler les compteurs à la baisse ou à la hausse. En août 2013, l’investisseur activiste américain Carl Icahn a particulièrement marqué les esprits sur Twitter (3) : « Nous avons une position importante sur Apple (NASDAQ : AAPL). Nous croyons que la société est extrêmement sous-valorisée. J’ai parlé à Tim Cook (le PDG du groupe) aujourd’hui. Davantage à venir.». Résultat : un gain de 17 milliards de dollars de capitalisation en quelques heures pour la marque à la pomme. En mars 2015, c’est Elon Musk, PDG de Tesla qui s’amuse à tweeter des énigmes en lâchant que son prochain futur produit ne serait pas une voiture. Les esprits s’échauffent aussitôt et le constructeur gagne alors 900 millions supplémentaires de valorisation boursière. Sauf que l’inverse peut aussi se produire. Lorsque le même Musk dévoile que son produit est une nouvelle batterie, l’action de Tesla recule de 2,75% (4).

Président de Valquant, une société d’analyse financière, Éric Galiègue, est convaincu de l’impact du lien qui existe entre ce qui se dit d’une entreprise sur les médias sociaux et sa performance boursière. Il a d’ailleurs développé un modèle algorithmique de détection et d’analyse du sentiment digital qui permet selon lui d’affiner les évolutions possibles et les choix d’investissements (5) : « La réputation sur les réseaux influence la performance boursière ». On ne peut effectivement que converger avec cet expert. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer les tweets éruptifs de Donald Trump à l’égard de plusieurs entreprises. En janvier 2017, Toyota a ainsi vu fondre 1,2 milliards de capitalisation à cause du président twittos qui l’exhortait nommément à construire des usines aux Etats-Unis sous peine sinon de taxes douanières augmentées.

Il suffit d’un rien …

Le problème est qu’aujourd’hui la sensibilité des marchés s’est exacerbée face aux tweets. En août 2017, le même Trump a ainsi réussi à passablement secouer le cours de bourse de Nordstrom, une chaîne américaine de magasins spécialisés dans les accessoires de mode, les vêtements, les sacs, la bijouterie, les cosmétiques et les parfums. Raison invoquée ? Le daron s’agaçait de voir que la marque de vêtements conçus par sa fille Ivanka, n’était plus référencée par l’enseigne. Et histoire d’enfoncer le clou, il s’est même servi (pour une fois !) du compte officiel @POTUS pour déverser sa rage. Or, l’enjeu dépasse dorénavant les sautes d’humeur twitteriennes de l’hôte de la Maison Blanche. Il suffit d’un tweet dégainé par une personne connue à l’encontre d’une marque ou d’une entreprise pour l’impact réputationnel et la sanction (ou l’inverse) financière tombent aussitôt.

En cela, les récents déboires du réseau social Snapchat sont symptomatiques de cette célérité digitale qui vient érafler une réputation en un éclair de temps. Le 22 février dernier, c’est la starlette people Kylie Jenner (photo ci-dessus) qui tweete son agacement à ses 24,5 millions d’abonnés sur Twitter à propos de la nouvelle interface utilisateur de Snapchat qu’elle ne comprend pas. La gifle ne se fait pas attendre pour le réseau social. Outre les fans qui se déchaînent à leur tour et lancent même une pétition en ligne exigeant le retrait de la mise à jour (1,2 millions de signature récoltées !), le tweet de Kylie Jenner entraîne une chute de 1,3 milliard de dollars de la valeur boursière de la société (6). Quelques semaines plus tard, c’est au tour de la chanteuse Rihanna de tacler méchamment (sur Instagram cette fois !) Snapchat. Elle dénonce la diffusion sur le réseau d’une publicité qui se moque des violences conjugales qu’elle a subies. Dans la foulée, elle appelle les utilisateurs à désactiver l’application de leur smartphone. Et rebelote, le cours boursier diminue de 4% en dépit des excuses formulées par l’entreprise (7).

Les mésaventures de Snapchat n’ont rien d’anodin. Même si les saillies verbales de Kylie Jenner et Rihanna ne vont pas carboniser intégralement à elles seules la réputation de l’application sociale, elles vont en revanche laisser des traces numériques d’une part mais aussi alimenter le sentiment d’autre part que Snap, la maison-mère, se soucie en fin de compte bien peu de sa communauté. Un paradoxe embarrassant lorsqu’on prétend être un réseau social qui mise fortement sur la Bourse depuis son introduction en mars 2017. Pour tout communicant dont la société est cotée, Twitter est le réseau à surveiller en premier lieu. Faire l’impasse de ses gazouillis constitue un risque énorme qui peut coûter beaucoup. On connaissait les bad buzz de marques qui éclataient en grande majorité sur Twitter. C’est dorénavant la cotation boursière qui doit faire l’objet d’une veille pointue sur ce même réseau.

Sources

– (1) – « Scottish man used Twitter to launch $1.6m stock market scam, says US jury » – Reuters – 6 novembre 2015
– (2) – Raphaël Labbé – « Votre cours de bourse déterminé par un hashtag ? » – L’ADN – 18 septembre 2017
– (3) – Guillaume Clément – « Bourse : tous ces tweets qui ont affolé les marchés financiers » – Le Revenu – 14 mars 2018
– (4) – Ibid.
– (5) – Romain Dion – « La réputation sur les réseaux influence la performance boursière » – Le Revenu – 8 mars 2018
– (6) – Mylène Bertaux – « L’arrogance Snapchat ou comment les réseaux sociaux ignorent la grogne des utilisateurs » – L’ADN – 5 mars 2018
– (7) – Marie-Catherine Beuth – « Snap Inc. chute en Bourse après que Rihanna dénonce la diffusion sur Snapchat d’une pub se moquant des violences conjugales qu’elle a subies » – Business Insider France – 15 mars 2018