Les jeux vidéo en 2017 : les grandes tendances vues par Julien Villedieu

Les jeux vidéo en 2017 : les grandes tendances vues par Julien Villedieu

Julien Villedieu est délégué général du Syndicat national du jeu vidéo (SNJV). En ce début d’année, il livre son pronostic sur les tendances à venir pour 2017 dans l’univers vidéoludique.

Temps de lecture : 6 min

Quelles tendances voyez-vous pour 2017 ? Quelles seront les choses à suivre ?

Julien Villedieu : Ce que l’on constate déjà c’est qu’il y a un très fort engouement ou un retour d’engouement pour les écosystèmes traditionnels du jeu vidéo, à savoir les consoles et les PC. Notre baromètre a montré récemment qu’un tiers des studios français développent sur console et plus de 70 % souhaitent développer sur PC. Ces plateformes restent des valeurs refuge.
En revanche, on a mis en évidence une certaine frilosité sur les écosystèmes mobiles, tablettes et smartphones. Non pas que ces écosystèmes ne soient pas attractifs mais la capacité à créer du revenu et de la rentabilité sur ces jeux est devenue de plus en plus difficile. Cela reste un écosystème privilégié par les studios, mais je pense qu’il y aura probablement en 2017 un temps de pause notamment de la part des plus jeunes sociétés. Parce que pour être efficace sur ces plateformes, il faut bénéficier d’une capacité en termes d’investissement marketing et de commercialisation importante que les jeunes studios, aujourd’hui, n’ont pas la capacité de mobiliser.
 
De plus, j’identifie trois tendances fortes. La première, qui est déjà présente, c’est la réalité virtuelle (VR). Mais je pense qu’elle ne représentera pas un marché très important pour le secteur du jeu vidéo, pour plusieurs raisons, d’abord parce que l’accès au matériel est encore onéreux, ensuite parce qu’un certain nombre d’utilisateurs ne supportent pas la VR physiquement et se sentent mal assez rapidement. Néanmoins, c’est un écosystème sur lequel il y a beaucoup de propositions de la part des studios de développement, donc on peut s’attendre à voir beaucoup d’expériences. Ceci dit, je pense que ceux qui iront sur la VR seront des pionniers, et donc prêts à essuyer les plâtres de ces tentatives.
Ensuite, il y a le eSport, qui est une tendance de fond qui se développe extrêmement rapidement, y compris en France. On n’a pour l’instant que 8 % des jeux qui intègrent un aspect compétitif, mais ce sera plus de 23 % à partir de l’année prochaine.
Enfin la dernière tendance, qui est aussi une tendance de fond depuis plusieurs années, c’est ce qu’on appelle le cloud gaming, le jeu en streaming. C’est vraiment quelque chose qui se développe, je pense que les premières offres devraient arriver à maturité en 2017 ou 2018. On devrait commencer à voir des propositions sous la forme de catalogues et d’abonnements mensuels pour accéder à des titres. Et à ce moment-là, ce sera, je pense, un changement de paradigme assez important dans l’industrie du jeu vidéo.
 
 
Avez-vous des idées concrètes de ce à quoi pourrait ressembler ces nouvelles offres de jeux en streaming ?
Julien Villedieu :  Je pense qu’il faut regarder ce qui se fait déjà dans d’autres industries comme la musique et la VOD, avec des Netflix, des Deezer, des Spotify qui sont des offres qui fonctionnent bien du côté des consommateurs. En revanche, du côté des artistes et des ayants droit c’est peut-être différent, mais je pense que l’on devrait assister à des choses assez similaires. J’imagine par exemple des abonnements avec différents niveaux, qui donneraient accès aux titres les plus récents pour les abonnements les plus chers, et d’autres moins chers qui proposeraient des titres plus anciens. On devrait retrouver ce type d’offres assez rapidement, je suppose d’abord sur PC, et puis pourquoi pas ensuite sur console.
 
 
Diriez-vous que la réalité virtuelle a la capacité et le potentiel pour révolutionner les codes du jeu vidéo, ou va-t-on simplement exporter les recettes qui marchent actuellement sur la réalité virtuelle ?
Julien Villedieu : Aujourd’hui, ce que l’on constate, c’est qu’il y a effectivement beaucoup d’expériences qui sont réalisées et elles tournent toutes autour des mêmes types de gameplay et d’environnement. On trouve beaucoup de simulations, et c’est finalement assez répétitif.
 
Néanmoins, on voit que du côté du documentaire et de l’audiovisuel il y a aussi des expérimentations, avec des choses assez intéressantes. Par exemple, l’expérience interactive Notes on blindness, qui est grosso modo tirée des mémoires d’un aveugle, est assez surprenante. Cela vous fait vivre ce que ressentent les non-voyants, à travers un casque de réalité virtuelle, la perception des sons, la perception du vent, la perception aussi des images. C’est assez bluffant ! Ce sont des choses qui, à mon sens, vont être assez intéressantes, car elles permettent de faire vivre des émotions aux spectateurs.
 
 Aujourd’hui, il est difficile d’obtenir ce seuil de rentabilité sur la VR 
Côté jeux vidéo, des choses vont être tentées, mais la difficulté c’est que le jeu vidéo est toujours dans une logique du secteur marchand, c’est-à-dire qu’il cherche à avoir une traduction de rentabilité des investissements. Aujourd’hui, il est difficile d’obtenir ce seuil de rentabilité sur la VR, du fait de la faible diffusion du matériel, et d’une faible appropriation par les consommateurs. Donc je vois plutôt un développement dans le domaine des expériences interactives et des nouveaux médias, avec de belles expériences de réalité virtuelle qui vont vraiment engager les consommateurs sur ce terrain-là, plutôt que du côté du jeu vidéo.
 
 
Est-ce que vous pensez que l’industrie du jeu vidéo fera plus de place aux femmes à l’avenir ?
Julien Villedieu :  Dans tous les cas c’est un objectif permanent. Il y a la place des femmes dans les jeux et la place des femmes dans l’industrie.
 
En ce qui concerne les jeux je crois que la transition s’est déjà largement effectuée. On le voit avec Dishonored, où vous pouvez jouer une héroïne, dans le prochain jeu de Quantic Dream où vous aurez aussi une femme, ou dans Life is Strange qui a été aussi un grand succès avec une héroïne. Aujourd’hui, on peut proposer aux consommateurs des héroïnes et plus simplement des héros masculins, ce qui est à mon sens plutôt positif. L’image de la femme a profondément changé dans les productions de jeu vidéo et c’est aussi un élément très important.
 
Quant aux femmes dans les entreprises, effectivement le chiffre est assez faible concernant les activités de production. Pour le reste de l’industrie, c’est-à-dire l’édition et la distribution, le nombre de femmes est beaucoup plus important. Cependant, ce ne sont pas uniquement les professionnels qui pourront s’engager sur ce terrain-là. Il faut aussi une vraie volonté politique de sensibiliser dès le plus jeune âge, au niveau du collège par exemple, voire même au niveau du primaire, sur les métiers techniques et technologiques essentiels dans la production de jeux vidéo. Ces métiers séduisent malheureusement très peu les filles, et particulièrement les jeunes. Donc je pense qu’il y a aussi un vrai travail à mener du côté du ministère de l’Éducation nationale pour qu’on sensibilise les jeunes filles à l’intérêt et aux débouchés sur les fonctions techniques, notamment les sciences de l’ingénieur.
 
 
Le groupe chinois Tencent va-t-il prendre une place plus importante dans l’industrie du jeu vidéo, en s’immisçant sur le marché des consoles par exemple ?
Julien Villedieu : Le groupe est déjà leader mondial donc ce serait compliqué de faire mieux ! Tencent aujourd’hui c’est un groupe tentaculaire, avec un bassin de consommateurs au niveau national absolument colossal avec plus de 900 millions de joueurs potentiels. Ils ont une puissance de frappe sans commune mesure avec les autres acteurs du secteur, donc si Tencent continue sur sa lancée, avec des velléités de se développer en Europe, il n’y a pas de raison qu’ils s’arrêtent en si bon chemin puisque le jeu vidéo est aujourd’hui une source de revenus et de visibilité importante pour eux.
 
Ceci étant, je ne crois pas qu’ils souhaitent entrer sur le marché des consoles, en tout cas pas aujourd’hui. Même s’ils sont très intéressés par ces écosystèmes, il faut savoir qu’en Chine, le marché des consoles ne se développe que très doucement, voire pas du tout. Les consoles sont encore très chères, les jeux ne sont absolument pas adaptés au marché chinois, donc si développement sur console il y a de la part de Tencent, ce sera en dehors du marché chinois. Pour les avoir rencontrés, j’ai le sentiment que Tencent aujourd’hui se concentre plutôt sur le mobile, parce que c’est là que se trouve son cœur de cible. Et en plus Tencent fait le lien entre WeChat qui est son service de messagerie, et le jeu vidéo, sur mobile, donc il n’y a assez peu de raisons finalement pour qu’ils se tirent une balle dans le pied en partant sur d’autres écosystèmes, même si ce sont des écosystèmes qui aujourd’hui sont assez séduisants.
 
 
Selon vous, les newsgames ont-ils un potentiel de développement ?
Julien Villedieu : Clairement oui. Le jeu vidéo est un média qui est devenu extrêmement mature, de par l’âge moyen des joueurs. Aujourd’hui, les joueurs de jeux vidéo n’ont plus simplement dix, douze ou quinze ans, ils ont vieilli avec le média, et on assiste donc à un phénomène où le jeu vidéo devient un art total. Et comme n’importe quelle autre expression artistique, il peut faire passer des messages. C’est la raison pour laquelle le newsgame est véritablement quelque chose de porteur et qui fonctionne plutôt bien.
 Le jeu vidéo est un média qui est devenu extrêmement mature, de par l’âge moyen des joueurs  
 
On voit d’ailleurs de très belles expériences : sur le site Pixel Hunt, qui est dirigé par Florent Maurin, il y a des productions vraiment très intéressantes. Dans This war of mine, un jeu où vous jouez un réfugié en plein milieu d’une guerre, il y a un vrai gameplay, et c’est passionnant parce qu’on prend le parti de jouer un réfugié et non un combattant. Donc il y a une vraie puissance du message à travers le jeu vidéo, et les newsgames sont promis à un bel avenir. Mais pour l’instant c’est un modèle qui n’est pas rentable sur le marché, ce sont des productions qui nécessitent d’être préfinancées pour être ensuite mises à disposition gratuitement auprès des utilisateurs.
 
 
Finalement, les perspectives de développement pour le jeu vidéo en 2017 semblent plutôt bonnes ?
Julien Villedieu : Oui c’est vrai, nous sommes dans une phase de développement. L’arrivée des casques de réalité virtuelle devrait malgré tout donner un coup de boost encore plus important à la croissance structurelle du marché. Après, le secteur du jeu vidéo reste un secteur très particulier, qui vit un peu en autarcie. On a pu voir récemment que les titres AAA se vendaient un petit peu moins bien cette année que l’année dernière. On accuse les durées de jeux trop longues et la difficulté des jeux, d’où le fait que les joueurs passent plus de temps qu’avant sur les mêmes jeux. C’est probablement une explication, mais peut-être pas la seule. Il faut toujours être vigilant sur ce qu’il se passe sur le marché.

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Cyril Petit est rédacteur en chef central et secrétaire général de la rédaction du Journal du dimanche print et numérique. Il donne son point de vue sur les évolutions de la presse en 2017.