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Lutter contre le tout jetable, c’est défendre les travailleurs à l’échelle mondiale

Un rapport présenté lundi devant le Parlement européen propose des mesures pour lutter contre l’obsolescence programmée des produits et contre le règne du tout jetable, responsable aussi bien du chômage que de la surexploitation des travailleurs à l’échelle mondiale. L’auteur de ce rapport, l’eurodéputé Pascal Durand, explique pourquoi.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que la confiance des consommateurs dans ce qu’ils achètent, a du plomb dans l’aile. Selon l’enquête française citée dans le rapport présenté au Parlement européen, 92% des personnes interrogées sont convaincues que les produits électroménagers ou high-tech qu’on leur vend, sont volontairement conçus pour ne pas durer. C’est ce qu’on appelle l’obsolescence programmée qui, même si elle est condamnée dans plusieurs pays, comme la France depuis la loi de transition énergétique, est toujours difficile à prouver. Il faut dire qu’il n’existe quasiment aucune information sur la fiabilité des produits.

L’autre problème, inscrit au cœur même de la conception technique des marchandises qui nous entourent, c’est qu’elles sont de plus en plus conçues, non pas pour être réparées en cas de panne, mais pour être jetées, nous en faisons tous quotidiennement l’expérience. Obsolescence programmée et règne du tout jetable, sont les deux mamelles de la société du gaspillage, qui ne cesse de conquérir le monde depuis des décennies. Peut-on y mettre un coup d’arrêt, en commençant par le faire en Europe ? Le rapport présenté devant les députés européens va dans ce sens, d’autant plus qu’il explique avec précision les conséquences catastrophique, en termes sociaux et environnementaux, de cette civilisation du tout jetable. Car si le consommateur manque d’informations sur la qualité et la durabilité d’un produit, il a tendance à privilégier ceux qui sont les moins chers au détriment des produits de qualité, mais du coup, il privilégie aussi les entreprises de pays émergents qui les fabriquent, encourageant, par son achat, les conditions sociales déplorables dans lesquelles elles sont généralement produites : salaires misérables, droits sociaux inexistants, conditions de travail proches de l’esclavage, travail des enfants, etc… On peut consulter à ce propos les nombreux rapports établis chaque année par les ONG, par exemple « China Labour Watch », sur les conditions de travail des ouvriers chinois dans les usines Apple (http://chinalaborwatch.org/home.aspx.)

L’autre conséquence du tout jetable et de l’obsolescence programmée affecte directement l’emploi. Le fait qu’on ne répare plus les objets a fait chuter des secteurs de l’économie qui y sont consacrés: 2 000 emplois ont été perdus par exemple aux Pays-Bas en 7 ans. En Allemagne, 13% des boutiques de réparation de radio et de télévisions ont disparu en un an seulement, et 16% en Pologne en deux ans. Une situation que déplorent les consommateurs puisque selon l’Eurobaromètre de 2014, 77% des citoyens européens préféreraient réparer leurs biens plutôt que d’en acheter de nouveaux. Le succès des ateliers et des sites de réparation gratuite prouve par ailleurs que la demande est là.

Reste à savoir ce qu’une déclaration d’intention exprimée par le Parlement européen pourra changer à l’ordre économique mondial.

L’auteur du rapport, l’eurodéputé Pascal Durand (Verts-ALE), estime qu’un mouvement se dessine au niveau mondial contre les pratiques désastreuses des grandes firmes mondiales et que c’est ce mouvement que doivent renforcer les institutions européennes. Entretien.

On parle souvent de l’obsolescence programmée du point de vue des consommateurs, mais rarement de ses conséquences néfastes au niveau de l’économie globale et de l’emploi. Quels sont les constats auxquels vous a mené votre recherche pour établir ce rapport.

Pascal Durand. La logique de la société du déchet et du jetable est une logique de destruction et de l’emploi et de l’exploitation des ressources et des êtres humains dans les pays du sud ? C’est-à-dire que la logique qui tend à la production de masse, c’est effectivement d’aller chercher une production à très bas coût dans des pays qui n’ont pas les garanties sociales que nous avons. C’est aussi d’aller chercher des matières premières qu’on peut récupérer à moindre coût dans des pays que globalement on pille. Donc, la conséquence sociale pour l’Europe, c’est le chômage. La deuxième conséquence, c’est que non seulement on perd dans l’industrie  mais on en perd également dans l’artisanat, dans la réparation et dans les services, parce que ces produits ne sont pas réparables, ils sont conçus pour être jetés pas pour être réparés. On a des conséquences très fortes également sur les catégories les plus défavorisées qui achètent des produits qui sont de très mauvaise qualité, qui croient faire une affaire et qui en réalité sont obligés de les changer très souvent. Sur l’économie par ailleurs, on a aussi chez nous une main-d’œuvre qualifiée qui part, qui est obligée d’aller travailler à l’étranger tout simplement parce qu’on n’a plus les centres de production en Europe.

Qu’est-ce qui pourrait permettre de réguler ou de donner un coup d’arrêt à cette situation ?

Pascal Durand. La première chose, c’est qu’il y ait une prise de conscience et une synergie qui se fasse entre les consommateurs, les syndicats de salariés et les organisations patronales les moins réactionnaires, les moins conservatrices, celles qui effectivement comprennent qu’à un moment, si on continue à délocaliser, à faire du transport qui pollue et d’utiliser de la matière première à n’en plus finir, c’est mauvais pour l’équilibre planétaire et social. Donc, il faut qu’on arrive à trouver une convergence autour de cette nouvelle économie, y compris avec les syndicats qui l’ont déjà compris – je pense à la CGT et au recyclage des pièces de voiture à Sandouville par exemple. Cette prise de conscience viendra aussi par le coût, tout simplement, parce qu’à un moment les consommateurs vont en avoir assez de payer pour des produits qui durent de moins en moins longtemps et qu’on jette. Il faut arriver à ce que la dynamique actuelle soit brisée pour en créer une nouvelle.

Dans cette logique qui a des implications mondiales, le consommateur a donc une place centrale ?

Pascal Durand. Oui, absolument. La mondialisation de l’économie que vous pointez, c’est très important. Comment arriver à construire une mondialisation du social, de la consommation, de la résistance en réalité, qui soit en même temps solidaire des pays du sud, de manière à  faire en sorte qu’ils ne soient plus exploités comme ils le sont actuellement, et en même temps qui soit constitutrice d’une protection à la fois de l’emploi, du climat, et bien entendu de nos normes sociales, c’est un vrai sujet. Comment arriver à construire cette dynamique ? Si on raisonne avec les vieux clichés qui sont pas si clichés que ça, en termes de rapports de lutte de classe, on a là en fait une résistance à la mondialisation à construire, une résistance à l’économie actuelle fondée uniquement sur le profit.

Qu’est-ce qui est possible concrètement à l’échelle de l’Union européenne ?

Pascal Durand. L’Europe peut déjà considérer que c’est une priorité. Que la protection des ressources, que la protection de nos emplois, de la formation, le maintien des métiers de l’artisanat et de la réparation et des services, sont une priorité en Europe. Si elle considère que il y a une mine considérable d’emplois, de formation pour les jeunes et pour notre climat, qu’il ne faut plus avoir à transporter des grille-pain sur des milliers de kms, alors l’Europe peut s’en donner les moyens. Il suffit d’utiliser les outils qu’utilisent les grandes entreprises pour gagner de l’argent. Par exemple les incitations fiscales. On nous rappelle à longueur d’année que les assistés sont ceux qui sont prétendument sans travail, alors qu’en réalité, on le sait, les grands assistés du système, ce sont les grandes entreprises qui sont exonérées de tout un tas de taxes sur les transports par exemple. Il faut renverser cette logique.

Comment les grandes entreprises, européennes ou américaines peuvent accepter ça ? Comment faire comprendre à Apple qu’elle ne doit pas faire fabriquer ses iPhones en Chine en exploitant les  ouvriers comme elle le fait ?

Pascal Durand. D’abord en faisant payer le vrai cout du transport. Ensuite, qu’on taxe extrêmement fort les produits qui sont importés – nous sommes un certain nombre à le revendiquer – je suis même pour qu’on arrête d’importer de pays qui ne respectent pas les normes sociales, par exemple celles de l’OIT (Organisation internationale du travail). C’est un choix politique. Nous, on impose des normes sociales qui sont dans l’intérêt des travailleurs, eh bien faisons en sorte que nos normes ne soient pas concurrencées par des pays qui ne respectent pas ces normes là. Troisièmement, il faut agir au niveau des consommateurs. Par exemple les consommateurs américains ont obligé Apple à mettre des vis sur ses batteries plutôt que de les coller. Cela paraît bête, mais changer une batterie sans avoir à changer l’iPhone, c’est évidemment un progrès très important. Et puis, il faut obliger les entreprises à informer les consommateurs sur les produits, sur leur durabilité, la disponibilité des pièces détachées, les manuels de réparation. On a fait par exemple des progrès sur les imprimantes 3D  en facilitant les réparations. Le début d’une nouvelle économie est déjà là, il faut l’encourager, il faut l’aider.

Pour votre rapport, vous avez été amené à discuter avec des grandes entreprises, quelles sont leurs réactions ?

Pascal Durand. Officiellement, elles sont intéressées. Parce que les grandes entreprises informatiques par exemple, comprennent bien que les imprimantes, on ne va plus les acheter, on va les louer, donc que elles ont intérêt à faire du matériel qui dure, d’autant plus qu’on rentre dans une économie du partage. D’un autre côté, je pars d’un principe, c’est que le patronat n’est pas d’un bloc. Par exemple, en France, le MEDEF n’est pas représentatif de toute une partie de la nouvelle économie. Donc il faut s’appuyer sur ces entrepreneurs et sur la nouvelle vision que portent les syndicats. Cela ne viendra pas spontanément, il faut créer des rapports de force bien entendu, mais j’y crois.

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