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​« Café Libertà » par Les Paladins au Centre d’art et de culture de Meudon – Fi du thé et vive le café ! – Compte-rendu

 
Quelle jolie idée Jérôme Correas, chef de l’ensemble Les Paladins, et Ambra Senatore, chorégraphe et directrice du CCN de Nantes (1), ont-ils eue en associant la musique baroque et la danse contemporaine autour du thème du café ! A partir de la fin du XVIIe siècle on vit l’Europe se prendre de passion pour cette boisson au nom chargé d’exotisme – et de vertus stimulantes ! Arme de premier choix pour résister aux assauts de Morphée et faire triompher vie et plaisirs sur le sommeil, le café inspira à Jean-Sébastien Bach sa Cantate du café BWV 211 – pièce pleine d’humour composée vers 1734, qui fait regretter que le Cantor n’ait pas plus creusé la veine comique. L’ouvrage est relativement bien connu, à la différence de la rare Cantate « Le Caffé » de Nicolas Bernier (1664-1734) – contemporain d’un Louis XIV qui, on le sait, prisait la « favorable liqueur ».

L’assemblage, parfaitement cohérent, des deux partitions offrant un minutage trop court, le programme a été augmenté de la Suite  « La Bizarre » de Georg Philipp Telemann (vrai régal pour les danseurs, ici divisée en deux volets : Ouverture,  Courante et Gavotte avant le Bernier ; Branle, Sarabande, Fantaisie & Rossignol à sa suite) et du bref air « Caffé délicieux » d’un mystérieux Monsieur de la Tour, qui proclame : « Fi du thé et vive le café ! » Un exergue tout trouvé à la partition de Bach, entonné a cappella par Matthieu Heim, beau baryton-basse que l’on appréciera ensuite en Schlendrian dans la Cantate du café.
 

Ambra Senatore © Bastien Capela

Outre le plaisir musical résultant des pièces choisies, rondement menées par Jérôme Correas, la saveur de ce « Café Libertà » tient à la rencontre de l’univers baroque et d’une danse contemporaine qui, grâce à la part d’improvisation qu’Ambra Senatore et ses danseurs (Caterina Basso, Claudia Catarzi et Matteo Ceccarelli) introduisent, prend une dimension aussi spontanée que souriante. La chorégraphie lance par moments de petits clins d’œil aux codes de la danse baroque mais, surtout, fait écho aux rythmes et aux atmosphères de la musique. Par l’interaction qui en résulte, elle entraîne les musiciens dans son mouvement ; les chanteurs (ce qui implique l’appoint d’un peu de sonorisation, un rien surprenante au départ, mais à laquelle on s’habitue vite), une instrumentiste aussi – la flûtiste Clémence Bourgeois, qui sort des rangs de l’ensemble au cours du Bach et prend place au milieu de la scène tandis que Liesgen entonne l'air « Ei ! wie schmeckt der Coffee süsse » (afin de rajouter piquant et mouvement à l’action, le spectacle prend la liberté de partager le rôle de la jeune fille entre deux excellentes sopranos : Léa Bellili et Louise Roulleau).
Spontanéité, interaction : ces aspects s’expriment aussi dans la relation avec le public. Ainsi Ambra Senatore quitte-t-elle à un moment son rôle de danseuse, d’une manière que l’on croirait impromptue, pour prendre place sur le devant du plateau et conter avec allant l’histoire du breuvage venu d’Abyssinie - pour traduire également par les mots l’esprit de liberté (celle des femmes entre autres) qui anime « Café Libertà ».
 

© Bastien Capela

Prévue le 7 mars à Saint-Quentin-en-Yvelines, la première du spectacle a dû être annulée en raison des mouvements sociaux ; c’est finalement le Centre d’art et de culture de Meudon qui en a eu la primeur deux jours plus tard. Sans doute quelques réglages dans les mouvements, un peu brouillons, autour de la table occupée la cafetière et les tasses, restaient-ils à effectuer, sans doute le ténor Jean-François Lombard a-t-il paru un brin hésitant au commencement du Bernier – mais il a plus loin su apporter aux paroles du livret les couleurs tendres qu’elles appellent, avant d’être le narrateur à la fin du Bach lors de l’épisode du contrat de mariage, traité avec beaucoup de drôlerie. Broutilles. Cet original et réjouissant « Café Libertà » ne pourra que se bonifier au fil des reprises, au théâtre de Corbeil-Essonnes (11/03), où les Paladins sont en résidence de création, à l’Opéra de Massy (18/03) et enfin sur les terres nantaises d’Ambra Senatore, au théâtre Graslin (4 et 5 mai).

Alain Cochard

(1) Le CCN de Nantes est coproducteur du spectacle des Paladins, avec le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines et l'Opéra de Massy

Meudon, Centre d’art et de culture, 9 mars 2023 ; prochaines représentations les 11 mars (théâtre de Corbeil-Essonnes), 18 mars (Opéra de Massy), 4 & 5 mai 2023 (Angers-Nantes Opéra, Théâtre Graslin) // www.lespaladins.com/programmes/cafe-liberta/

Photo © Bastien Capela

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