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Voyage au pays des marchés en folie

Chez les traders, la nervosité et la volatilité atteignent des niveaux records. Récit d'une année qui a fait frémir épargnants et financiers.

La panique a gagné Wall Street le 24 décembre avant un spectaculaire rebond le surlendemain. Photo © JIM WEST/REPORT DIGITAL-REA
La panique a gagné Wall Street le 24 décembre avant un spectaculaire rebond le surlendemain. Photo © JIM WEST/REPORT DIGITAL-REA

Le 24 décembre dernier, Matthew, un jeune trader new-yorkais, traverse l’East River. Depuis cinq ans, il emprunte le bateau du NYC Ferry de 6 h 58 qui l’emmène du pont de Brooklyn, à deux pas de son logement, au bas de Manhattan, dans le temple de la finance mondiale, à Wall Street. Un quart d’heure plus tard, le héros malheureux déniché par la presse américaine, pose le pied sur le pier 11, ajuste son écharpe et presse le pas. Direction Broad Street, à deux pas du New York Stock Exchange. Il y a du vent mais pas de neige, confirmant ce que le présentateur de la chaîne météo a lancé, la veille : « Forget about a white Christmas this year ! » (« Oubliez un Noël enneigé cette année ! ») Matthew ne le sait pas, mais ce matin, la météo sur les marchés financiers, elle, va être cauchemardesque, alors que, depuis des lustres, la demi-séance boursière précédant Noël est toujours d’un grand calme : historiquement, le Dow Jones, l’indice vedette de Wall Street, n’a que très rarement évolué au-delà de plus ou moins 0,5 % autour de l’équilibre.

Arrivé dans la salle des marchés située au 25e étage du siège de la banque américaine qui l’emploie, Matthew retrouve ses collègues autour d’une tasse de café. Tous attendent fébrilement l’ouverture de Wall Street ; après une semaine catastrophique, la pire depuis 2008, ils savent que la séance promet d’être agitée, car les courbes des indices européens et asiatiques, affichées sur le mur d’écrans qui leur fait face, sont toutes orientées à la baisse. Wall Street, 9 h 30, la cloche annonce le début des cotations. Sur le mur en face du desk de Matthew, le ticker – le bandeau lumineux qui affiche les valeurs boursières – clignote : aucune action n’est dans le vert. L’inquiétude des traders atteint son paroxysme tandis que la faiblesse des volumes traités rend la dégringolade encore plus impressionnante.

Décembre 2018 est le plus mauvais mois boursier depuis la Grande Dépression des années 1930 aux États-Unis.

À 12 h 30, la cloche annonce, cette fois, la fermeture de la Bourse de New York. Le trader fait ses comptes : « Markets are getting crazy. » Les marchés deviennent fous. ») Envolé, l’espoir d’un rallye de fin d’année qui lui aurait permis de remonter son compte de P&L ( profit & loss , profits et pertes) sur lequel il est jugé par ses supérieurs : Wall Street a clôturé à 21 792,20 points, sur une chute de 2,91 %. C’est la pire séance pour un 24 décembre depuis la création de la Bourse new-yorkaise, en 1792 ! Mais décembre 2018 est aussi le plus mauvais mois boursier depuis la Grande Dépression des années 1930 aux États-Unis.

De l’autre côté de l’Atlantique, les opérateurs sur les marchés d’actions sont tout aussi troublés. « Une année boursière sidérante ! », clame Meyer Azogui, président de Cyrus Conseil. Aux inquiétudes liées à l’économie américaine et au commerce international, viennent s’ajouter celles sur les conséquences du Brexit dont la date s’approche inexorablement. Les premiers résultats des banques françaises témoignent de l’extrême nervosité des marchés financiers : au quatrième trimestre, l’activité Global Markets de BNP Paribas affiche une perte d’exploitation de 222 millions d’euros. La première depuis dix ans…

« Les épargnants sont perdus ; ils ont plus que jamais besoin de nous », insiste Meyer Azogui. Sur la volatilité des marchés se sont greffés des changements majeurs dans la réglementation européenne. « Les banques et sociétés de gestion sont en ébullition à cause du triptyque : DDA, MIF et PRIIPs », ajoute-t-il. C’est-à-dire « directive sur la distribution d’assurance », « directive sur les marchés d’instruments financiers », « Packaged Retail Investment and Insurance Products » (produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance). En résumé, des normes européennes plus contraignantes sur la distribution des produits financiers, qui engagent davantage les prescripteurs et qui noient les épargnants dans des montagnes de documents…

La Bourse craint la montée des nationalismes

D’un point de vue macroéconomique, les analystes ont crié au loup sur les risques de récession mondiale. En cause : l’inversion de la courbe de taux aux États-Unis et la remontée brutale des cours du pétrole jusqu’à 85 dollars le baril, à l’automne. La Réserve fédérale américaine a procédé, l’an dernier, à quatre hausses de ses taux directeurs (huit depuis l’élection de Donald Trump) avant d’annoncer, en janvier, la fin du mouvement de relèvement des taux, invoquant effectivement un ralentissement économique. En Europe, la Banque centrale européenne (BCE) a effectué un tournant historique en abandonnant son vaste programme de rachats de titres obligataires (2 600 milliards d’euros) commencé en 2015 pour relancer la machine financière et économique. Quant aux taux directeurs, inchangés, ils devraient rester au niveau actuel, « c’est-à-dire à zéro et même en dessous de zéro, jusqu’après l’été de 2019 au moins et aussi longtemps qu’il faudra pour que l’inflation revienne vers 2 % », a récemment déclaré Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE. Sans compter le retour en force du risque politique avec la montée du populisme dans le monde entier : « La conséquence du nationalisme aussi bien en Europe qu’aux États-Unis, c’est la volatilité sur les Bourses mondiales » , avance encore le président de Cyrus.

Aujourd’hui, la faiblesse des taux d’intérêt fait le bonheur des emprunteurs – le taux moyen des crédits immobiliers a atteint 1,44 % en 2018 -, mais le malheur des épargnants. À commencer par les bénéficiaires des 54 millions de contrats d’assurance vie : le rendement moyen des fonds en euros a fléchi à 1,6 % en 2018, soit deux dixièmes de point au-dessous de l’inflation, ce qui signifie que ce produit à capital garanti ne couvre même plus la hausse des prix. Certains, comme le fonds euro dynamique Target, affichent carrément une performance de zéro pointé. Tandis que les meilleurs se hissent à un peu plus de 2 %. « Ce qui prime, c’est l’allocation stratégique et non pas tactique : pour trouver les meilleures performances, il faut privilégier la diversification » , affirme Dominique Trébuchet, directeur général de La France mutualiste, dont le fonds en euros a gagné 2,01 % l’an dernier.

Obligations, actions, monétaire, or… les performances en 2018 ont été médiocres. Du côté des plus grands perdants, les fonds de petites et moyennes valeurs françaises ont chuté jusqu’à près de 30 %. Des baisses égales à celles des actions turques… Même Carmignac Gestion, la prestigieuse maison de la place Vendôme, longtemps au sommet des performances, n’a pas été épargnée. Son emblématique fonds Patrimoine a perdu plus de 11 %. Résultat, il a subi une décollecte de plus de 3 milliards d’euros et son président, Édouard Carmignac, a annoncé tirer sa révérence sur la gestion de ce fonds…

Les professionnels espèrent que l’année 2019 réserve quelques bonnes surprises comme le montre le rebond de Wall Street, qui a entraîné Paris dans son sillage : + 5 % depuis le 1er janvier.

Les professionnels espèrent que l’année 2019 réserve quelques bonnes surprises comme le montre le rebond de Wall Street, qui a entraîné Paris dans son sillage : + 5 % depuis le 1er janvier. Certains ont même déjà pris des positions. « Nous avons commencé à racheter des actions » , confie Meyer Azogui. Seule certitude pour tout le monde, la volatilité restera très élevée. Exemple, dans le secteur des jeux vidéo : il a suffi que l’américain Electronics Arts lance un avertissement sur ses résultats pour que tout le secteur chute : Take-Two Interactive (- 13,7 %), Activision Blizzard (- 10 %), Ubi-soft (- 9,5 %). Signe que le rallye des marchés en début d’année commence déjà à s’essouffler… Alan Greenspan, l’ancien président de la Réserve fédérale, qui, naguère, avait mis en garde contre « l’exubérance irrationnelle des marchés », l’a confirmé sur CNN en faisant preuve d’un grand pessimisme : « Il serait très surprenant de voir la situation se stabiliser ici, puis décoller. » S’il n’exclut pas un rebond à court terme, il met aussi en garde en cas de remontée : « À la fin de cette course, courez à couvert. »

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