Le président du Conseil constitutionnel algérien, Mourad Medelci : Un commis de l’Etat au long cours

« Plus un homme a de courage et de patriotisme, plus les ennemis de la chose publique s’attachent à sa perte ». Adolphe Thiers (1841)  

Stupeur à l’annonce de la mort de Mourad Medelci. Il a été  accompagné à sa dernière demeure en ce lundi il y avait foule . Pour les hommes politiques en fonction ou en attente, ces rendez vous ne sont jamais anodins.  C’est la comédie humaine dans toute son horreur ! C’est le lieu de voir et d’être vu. A force d’embrassades on redimensionne les relations et on remarque et on se fait remarquer dans une bonne humeur non feinte. Plus généralement, nous n’avons même pas l’humilité du recueillement et de la compassion.  Combien de personnes venues au cimetière connaissent le commis de l’Etat dans sa plus pure dimension ? Combien connaissent l’Homme  et la somme de ses vertus ?

Qui est Mourad Medelci ?  

Mourad Medelci  est né il y a 75 ans dans la bonne ville de Tlemcen. Il fait partie de la première promotion d’économiste de l’université d’Alger du temps où les études universitaires avaient un sens et un contenu.  Ces premiers moudjahid sur le front du développement eurent à créer de tout pièce une administration, un tissu industriel , une haute administration. Mourad Medelci n’épargna pas sa peine. Il était présent successivement sur ces trois fronts et ave quel panache !  Après un passage en entreprise notamment à Sonelgaz, l’administration  centrale du ministère du commerce l’a arraisonné pour une carrière qui a démarré d’une façon fulgurante à peine une dizaine d’années de postes dans l’administration ministérielle, le voilà propulsé à différents postes qu’il occupa pendant près de vingt ans

Lu sur  le site TSA quelques extraits de cette biographie  :

«Il est parti comme il est venu dans l’arène politique : subrepticement. Le président du Conseil constitutionnel Mourad Medelci a passé l’arme à gauche après avoir connu une longue et riche carrière. Discret et pas du tout disert, peu d’Algériens, sauf son entourage peut-être, étaient au fait de sa maladie avant que ne tombe la nouvelle de son décès,   ce lundi 28 janvier. Mourad Medelci a été de tout temps un «politique» sans aspérités, quelque peu effacé même. Avec ses airs de professeur, il dégageait l’image d’un homme conciliant, un brin pépère et pas du tout porté sur la polémique, encore moins la «bagarre», politique s’entend ». (1)

«Mais voilà, l’ancien ministre est beaucoup plus un technocrate qu’un homme politique. Licencié en économie à l’université d’Alger, ce natif de Tlemcen en 1943 (…) Il a entamé sa carrière en 1965 au sein de la Sonelgaz comme attaché à la direction financière avant d’être propulsé, un an plus tard, comme directeur financier de l’Organisme de coopération industrielle (OCI) franco-algérien, puis directeur financier de la Société nationale d’études et de réalisation (SNERI) en 1968. En 1971, il sera nommé comme PDG de la Société mixte d’études et de réalisations industrielles (SOMERI), puis directeur général de la SNTA en 1977 avant de revenir en 1979 à la SNERI comme directeur général ». (1)

«En 1981, il fera son entrée au ministère du Commerce en qualité de secrétaire général. Un poste qu’il quittera en juin 1988 pour présider le Fonds de participation (holding d’Etat) industries diverses ensuite comme ministre du Commerce dans le gouvernement de Kasdi Merbah et comme ministre délégué au Budget dans celui de Sid-Ahmed Ghozali en 1991.   Après une «traversée du désert» de huit ans, il reviendra aux affaires comme ministre du Commerce en 1999 jusqu’à 2001 avant de rejoindre la présidence de la République comme conseiller qu’il quittera en 2005 pour occuper, pendant deux années, le poste de ministre des Finances. Son étoile brillera davantage en 2007 en se voyant confier les rênes de la diplomatie algérienne pendant six ans avant d’atterrir en 2013 à la tête du Conseil constitutionnel en remplacement de Tayeb Belaïz. Un poste qu’il occupera jusqu’à son décès ce lundi 28 janvier des suites d’une longue maladie ». (1)

Voilà pour le parcours brillant et éclectique dans tous les postes où les hasards de l’histoire, l’ont fait accosté. Pendant son passage aux Affaires étrangères, il lui fut reproché d’avoir été appelé (auditionné par l’Assemblée Nationale française pour rendre compte sur les réformes engagées par le président de la République) . Cette sujétion était vue comme un post colonialisme. Monsieur Medelci dans une interview au Quotidien d’Oran s’en défend :

«L’histoire de l’audition, c’est de la fumisterie. Je peux vous dire aujourd’hui que c’est moi qui ai demandé à être reçu à l’Assemblée française parce que je voulais que les responsables français prennent directement de la bouche d’un responsable algérien le contenu des réformes. Il y a eu une salle jamais aussi comble qu’elle ne l’a été ce jour-là. Ça veut dire qu’il y a beaucoup d’intérêt et beaucoup d’attentes. La communication sur l’Algérie ne se fait malheureusement pas très bien. Je suis très satisfait de la rencontre. » (2)  

Durant sa traversée du désert, il ne baissa pas pour autant les bras, il se convertit dans un domaine où on n’aurait pas l’environnement écologique, voire au Développement Durable ! Mourad Medelci a été membre fondateur de l’Association pour les relations internationales (1997), président fondateur de l’Association pour la promotion de l’éco-efficacité et de la qualité en entreprise (1998) Nous en parlions les rares fois où nous nous rencontrions lors des visites aux cimetières à nos amis communs Mohamed Salah Mentouri et Boubekeur Belkaid

Le compagnonnage avec Medelci pendant les années de feu  

Je veux porter témoignage  de mes rapports avec le haut fonctionnaire  qu’il était . Je veux parler des années difficiles qui ont précédé 88, j’étais à l’époque, son vis-à-vis comme secrétaire général du ministère de l’enseignement supérieur.  Mourad Medelci m’avait aidé à géré  la rentrée universitaire  en mettant des moyens matériels  ( équipements) impossible à acquérir autrement  La massification faisait que le flot d’étudiant(e)s devenait ingérable sous tous les plans notamment celui des moyens infrastructurels, il fallait construire des dizaines d’infrastructures (cités, restaurants, amphis, labos …) il fallait d’abord passer par le parcours du combattant de l’inscription au Ministère du Plan et là ce n’était pas gagné ! 

Je me souviens d’une réunion avec le premier ministre de l’époque.  Remplaçant le ministre Brerehi, à cette réunion préparatoire de la rentrée sociale avec des moyens réduits je m’étais préparé comme il le fallait. L’Algérie recevait de plein fouet le premier choc pétrolier. A la réunion,  j’ai dû insister pour avoir la parole. J’ai alors étalé d’une façon minutieuse toutes les contraintes de la rentrée pour faire face à une vague importante d’étudiant(e)s sur tous les plans financier, infrastructurel, transport, et même du nombre d’enseignants de rang magistral à recruter. La réponse du Premier Ministre me glaça d’un ton méprisant ne souffrant aucune réplique : «Dartouha bidikoum, hallouha bessanikoum.» Vous l’avez voulue, débrouillez vous ! » 

Le premier ministre passa en m’ignorant à l’écoute d’un autre secteur. Je ne me suis pas démonté pour autant. Je lui coupe la parole en levant le bras et dans la foulée je déclare : Monsieur le Premier Ministre . Nous avons une  rentrée difficile  à faire !  Je vous propose à chaque problème une  possibilité de solution. Le Premier Ministre, me redonna la parole à contre cœur sous l’œil tétanisé des présents, et j’ai pris encore un quart d’heure pour arracher l’essentiel de mes requêtes qui nous permirent d’affronter 88 à l’université.

C’est dans ces conditions que j’ai connu Mourad Medelci que je suis allé voir le lendemain, le ministère du commerce était pour nous avec les finances, le nerf de la guerre. Il joua un rôle important dans la mise à disposition de moyens matériels d’une part pour les restaurants universitaires, l’administration des universités et surtout il a été déterminant en nous permettant de mettre en place des dizaines de dispositifs audio-visuels ( magnétoscopes , cassettes, et téléviseurs) où les cours principaux maths, physique, chimie, biologie, étaient dupliqués pour nous permettre de recevoir dans de bonnes conditions la première vague de bacheliers totalement arabisés. Les hasards de l’histoire ont fait qu’à la hussarde les sciences et la technologie ont été arabisés  à l’exception de quelques ilots comme l’Ecole Polytechnique. Tout ce travail de passage en douceur à l’enseignement supérieur a été torpillé… Un jour on saura pourquoi ?

Trente ans après, j’ai toujours de la reconnaissance pour Mourad Medelci  qui  n’a jamais négocié mes requêtes. Pour lui l’université devrait avoir -malgré la pénurie, ce qu’il y avait de mieux- allant jusqu’à m’aider vis-à-vis d’autres secteurs, comme les finances où là aussi monsieur Mokdad Sifi mon vis-à-vis des finances m’a beaucoup aidé malgré la pénurie structurelle que traversait le pays et qui devait déboucher sur Octobre 88

J’ai gardé de monsieur Mourad Medelci- qui m’honorait de son amitié- le souvenir d’un seigneur qui portait beau avec sa pochette toujours bien assortie avec la cravate. C’était un plaisir que de le contempler et il avait le chic de nous étonner. Il avait l’élégance et le charme discret de l’homme du monde toujours bienveillant, même quand il refusait d’accorder ou de cautionner une action, il le faisait avec pédagogie ce qui permettait de sauver les relations personnelles. Il avait une phrase d’accueil célèbre non calculée qui désarmait le plus rétif : «  Ahlan Bik » «  « Bienvenue à toi »

 Il n’avait pas un mot supérieur à l’autre car il donnait l’impression de la force tranquille Son sacerdoce d’un demi siècle au service de l’Algérie est un exemple de régularité, de rigueur. Il est en effet, sorti du rang en ne grillant aucune étape et il n’a jamais rechigné là où il se trouvait pour emplir sa mission de haut fonctionnaire dans les conditions de sérieux et d’abnégation. Partout où il est passé, il  a laissé  le souvenir d’un homme affable toujours prêt au compromis pour sauver l’essentiel. 

Les élites intellectuelles de l’époque ont-elles démérité d’avoir mis toute leur compétence et leur ardeur à faire réussir le pays ? Peut-on parler de trahison des clercs d’avoir cautionné les pouvoirs successifs ? Non ! Mille fois  Non ! Par delà les gouvernants  et leur logique, il y a avait un Etat à faire tenir debout ! Ces élites  ont fait ce que leur conscience leur compétence leur dictait. Mourad Medelci fut de ceux là.  

Mourad Medelci , au risque de me répéter fut un modèle de discrétion, ne se prenant jamais au sérieux et faisant les choses sérieusement dans tous les postes qu’il a occupés et Dieu sait si ces postes étaient difficiles . Au commerce dans une conjoncture particulièrement difficile, il fallait assurer la nourriture du peuple. La même charge lui sera confiée aux Finances ; Quand aux Affaires étrangères, il serait honnête d’admettre que c’est un poste éminemment difficile qui est le reflet de la situation du pays… Ceci dit comme tout citoyen Mourad Medelci souhaitait que l’Algérie s’en sorte et  souffrait certainement des occasions ratées 
Pour toutes ces raisons Mourad Medelci , est pour  beaucoup d’entre nous, un commis de l’Etat au long cours, un honnête homme au sens de Zadig de Voltaire  Il a bien  mérité de la patrie. 

Repose en paix cher ami Je te dédie  cette courte épitaphe par ces vers intemporels de Victor Hugo.
« Il dort. Quoique le sort fût pour lui bien étrange, 

« il vivait.  Il mourut quand il n’eut plus son ange,

« la chose simplement d’elle-même arriva, 

« comme la nuit se fait lorsque le jour s’en va ».

Professeur  Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

Note:
1.https://www.tsa-algerie.com/mourad-medelci-un-homme-politique-discret-sen-va/
2.Ghania Oukazi : http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5162385&archive_date=2017-12-06

 



Articles Par : Chems Eddine Chitour

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