Jacques Fornier (94 ans) s’est éteint à Besançon le 14 novembre. En 1956, disciple de Jacques Copeau, il fondait à Beaune la Troupe de Bourgogne, forte de onze comédiens, dont Roland Bertin, qui deviendra l’un des acteurs favoris de Patrice Chéreau, avant d’intégrer la Comédie-Française, où il sera avec superbe le Galilée de Brecht vu par Vitez. En 1960, sous le règne d’André Malraux à la culture, c’est le label de centre dramatique national, avec l’intitulé Théâtre de Bourgogne. Fornier le dirige quinze années durant. Il y met en scène un répertoire conforme aux critères de la décentralisation d’alors ; Shakespeare, Molière, Marivaux, Beaumarchais, Musset, Feydeau, Tchekhov, Strindberg, jusqu’à la Manivelle, de Robert Pinget, et Huis clos, de Sartre. Il aide avec cœur de jeunes équipes, entre autres celles de Jorge Lavelli (pour Yvonne, princesse de Bourgogne, de Gombrowicz) et de Vincent-Jourdheuil ( la Noce chez les petits bourgeois, de Brecht). Deux réalisations qui feront date. En 1971, il succède à Hubert Gignoux, pour un an seulement, à la tête du Théâtre national de Strasbourg. Sans troupe permanente, iI n’y est pas à l’aise. Plus tard, il redeviendra parfois acteur, sous d’autres directions, après sa découverte de la pensée indienne.
Il joint sans fin le geste à la parole, lors de stages innombrables.
En Inde, il séjourne longtemps, s’initie au yoga, s’imprègne d’autres souffles dans la lignée de la philosophie spiritualiste de Sri Aurobindo (1872-1950), ce qui sera la base de son intense activité de pédagogue au Centre de rencontres de Besançon, créé en 1978 avec Jacques Vingler. Également nourri des thèses du biologiste et physicien Moshe Feldenkrais sur « la prise de conscience par le mouvement », il joint sans fin le geste à la parole, lors de stages innombrables à destination de professionnels et d’amateurs. Jean-Luc Lagarce, dans son Journal, lui rend hommage à maintes reprises. François Berreur, dans un communiqué, souligne que sans Fornier, la Roulotte, la compagnie créée de concert avec Lagarce, n’aurait pu survivre. Avec Jacques Fornier s’efface une conception du théâtre public tel qu’idéalement défini après la guerre, dans la noble foulée de Copeau et Vilar. Un pionnier, un homme d’avant par la force des choses, une figure lumineuse, un grand transmetteur d’expériences dans le champ de l’éthique artistique, un être foncièrement bon tourné vers le partage incessant. Il disait que le comédien est « un développeur de conscience et d’humanité ». Cela sonne à l’heure où nous sommes, quand l’art de la scène s’étiole, sous prétexte médical, en produit « non essentiel ».
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